Dans le milieu équestre, il existe des tabous, des sujets sur lesquels personne ne souhaite s’exprimer. Nous avons voulu rompre le silence et pour cela, nous avons rencontré Monsieur X (nous l’appellerons ainsi) qui a accepté de nous livrer sa vérité.  

 

Chapitre 1 : les premières années

– Monsieur X bonjour, je précise que vous avez préféré conserver l’anonymat. Je vous appellerais donc Monsieur X.

– Merci, je préfère continuer à être perçu comme un cheval “normal”.

– Ma première question concerne votre parcours. Qu’est-ce qui vous a amené à être là où vous en êtes aujourd’hui ?

– Vous parlez de quel parcours ? Club 1, Club 2, Elite … non je blague ! Ma vie a débutée comme la plupart de mes congénères. Je suis né à la campagne d’une mère aux origines espagnoles. Mon père, je ne l’ai pas connu. On m’a dit qu’il était plutôt beau gosse. Il a fait quelques résultats à l’obstacle mais c’est surtout dans le domaine de la reproduction qu’il a su exercer ses talents.

– Où avez vous grandi ? 

– Toute mon enfance et le début de ma vie, j’ai vécu dans un petit centre équestre du Sud Ouest. Les premières années, c’était plutôt cool. On me prenait “avec des pincettes”. On a commencé à me manipuler et à m’apprendre gentiment le métier. J’étais monté par des cavaliers expérimentés qui se faisaient légers et qui me donnaient des consignes claires.

– Ca n’a pas duré ?

– Ah ben non ! Progressivement, on m’a fait travailler d’avantage. On m’a mis tout le monde sur le dos : des bons, des moyens et des débutants qui vous massacrent le dos et la bouche. Je sais bien qu’il faut bien commencer, mais c’était beaucoup moins confortable.

– Et en concours ?

– Bon, là, je dois avouer, je n’y mettais pas toujours de la bonne volonté ! En fait, je me suis rapidement aperçu que quand je stoppais trois fois au premier obstacle, on me ramenais directement au camion. J’ai un peu abusé de l’astuce.

– Rien de positif durant cette période ?

– Si ! Les cavaliers étaient super cools avec moi. Il faut dire que pour les soins, j’étais plutôt le bon gars. Ils pouvaient me gratouiller partout, me doucher, me curer les pieds. Jamais un geste déplacé. Aucune tentative de mordillement, aucun écart, aucun coup de pied. Alors, je n’étais pas le dernier à recevoir des friandises ! Je crois qu’ils m’aimaient bien.

– C’est là que votre addiction a commencée ?

– Peut-être … 

– Que s’est-il passé après cette période ?

– Cela faisait quelques temps que la même humaine venait s’occuper de moi. D’ailleurs, plus personne d’autres ne me montaient sur le dos. Je travaillais beaucoup moins. Et puis un matin, je me souviens c’était l’hiver et il faisait super froid, elle est venue me chercher, m’a fait monter dans un van et on a roulé un petit moment. Le van s’est arrêter et on m’a débarqué dans un endroit où je n’étais jamais allé auparavant.

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Chapitre 2 : une nouvelle vie

– Et vous voici dans cette très belle écurie au milieu de la forêt. Monsieur X, ça ressemble à quoi votre vie aujourd’hui ?

– Ah ben c’est vraiment différent ! Côté hôtellerie, je suis passé dans un trois étoiles. Un box beaucoup plus grand avec, s’il vous plaît, un nettoyage quotidien et de la paille fraîche chaque jour. C’est tellement confortable de sentir l’odeur du propre et de pouvoir se rouler. Et puis, la journée, je la passe avec les copains au paddock. 

– On m’a dit que ce n’était pas toujours de tout repos ?

– J’avoues, je suis un peu bagarreur. Je m’amuse quoi. Alors c’est vrai, il m’arrive d’avoir deux trois cicatrices mais c’est les risques du métier ! 

– Et côté alimentation ?

– Top chef !!! Du foin quasi à volonté et un mélange de céréales incroyables ! J’ai goûté des trucs que je ne connaissais même pas. Vous avez déjà essayé les graines de caroubes ? Et bien moi oui.

– Le rythme de travail a changé ?

– Ah oui, la nuit et le jour. Comme cavalières maintenant j’ai maman (je l’appelle ainsi parce que elle passe plus de temps à me chouchouter qu’à me faire travailler) qui prend soin de me chauffer les muscles avant de monter, qui grimpe sur mon dos uniquement à partir d’une marche pour ne pas me faire mal, et qui me donne des exercices tranquilles et progressifs. Ensuite, il y a “minimoys” (c’est le surnom que je lui ai donné parce que quand elle est venue me voir pour la première fois je l’ai trouvée toute petite). Avec elle au début c’était tranquille mais elle a pas mal progressé. Maintenant, elle est devenue plus exigeante et je sors souvent tout trempé des séances de travail. Elle m’emmène même en concours. Mais elle est mignonne et elle fait attention à moi alors avec elle, je fais des efforts et on a des bons résultats !

Chapitre 3 : l’addiction

– Une vie de rêve quoi ! Comment dans ce contexte êtes vous tombé dans l’addiction ?

– Bon, il faut l’avouer, au départ j’ai une nature légèrement gourmande. Disons que l’estomac est un organe somme toute important pour moi ! Au départ, je ne me suis pas méfier, une carotte par ci, une carotte par là. Et puis c’est devenu indispensable ! Le tournant, c’est quand j’ai eu mes premières hallucinations. Un jour, maman est venue me chercher au paddock et là, je n’ai pas vu maman mais une carotte géante ! J’étais au fond du paddock, je me suis mis à galoper, j’ai sauté un tronc et je me suis planté devant la porte. 

– Ces hallucinations sont fréquentes ?

– Quasi quotidiennes. Dès qu’un humain m’approche, je vois en lui un distributeur de carottes et je me mets à chercher, à sentir les poches pour trouver ce qui est devenu pour moi une véritable drogue ! Il m’en faut toujours plus.

– Votre état physique s’est dégradé ?

– Ben non, je ne me suis jamais senti aussi bien ! Un léger embonpoint peut-être …

– Vous auriez un conseil à donner aux chevaux qui souffriraient de la même addiction ?

– Foncer les gars, les carottes, c’est trop bon !